Les problèmes des modèles d’habitation en déficience intellectuelle
Le droit au logement marchandisé
Au Québec, les habitations pour les personnes ayant une déficience intellectuelle ou autistes sont principalement privatisées. Cela signifie que des entreprises privées, financées par le gouvernement, gèrent ces services au lieu du gouvernement. Ces entreprises cherchent à faire des profits en offrant ces services.
Pourtant, le logement est un droit. Cela signifie qu’on traite ce droit fondamental (le logement) comme un produit qu’il faut acheter et qui dépend des lois du marché.
Dans le cas des ressources résidentielles, les associations de propriétaires négocient avec le gouvernement pour les prix des services donnés et combien les ressources reçoivent pour la maintenance de leur immeuble et leur fonctionnement. Plus les besoins des personnes hébergées sont grands, plus les ressources reçoivent d’argent. Plus il y a des personnes dans une ressource, plus la ressource gagne d’argent. Ce modèle de financement fait en sorte que les ressources ont intérêt à avoir de plus en plus de gens pour faire de plus en plus d’argent, ce qui est vu par beaucoup comme un retour aux institutions.
Une qualité de services variable
Les ressources intermédiaires et les ressources de type familial, qui accueillent 24 % des personnes ayant une déficience intellectuelle et/ou l’autisme, sont essentielles. Comme ces ressources sont privées, il y a une grande variété dans la forme et la qualité des services qui y sont offerts. Certaines ressources résidentielles offrent des chambres individuelles propres et agréables, des espaces communs ouverts et accessibles et des services individualisés de qualité pour les personnes y habitant. Dans ces cas, les personnes qui y vivent sont heureuses d’y être.
Malheureusement, ce n’est pas le cas partout. Certaines ressources résidentielles offrent une qualité de services moindre qui peut être préjudiciable à certaines personnes. Par exemple, au cours des dernières années, de plus en plus de cas de maltraitance ont été rapportés. En 2023, un article soulignait qu’« une quinzaine de cas de maltraitance envers une personne âgée ou une personne handicapée sont maintenant rapportés chaque jour au Québec ».
L’absence de surveillance par le gouvernement de ce qui se passe à l’intérieur de ces milieux explique en partie la situation. Le manque de formation du personnel est un autre problème. Résultat : plusieurs personnes ne se sentent pas bien dans leur milieu de vie ou peuvent y subir de mauvais traitements.
« Nous constatons trop souvent que le sentiment de sécurité a disparu envers les ressources et que la peur s’installe. Certains d’entre nous subissent aussi les mauvaises conditions de vie de milieux d’hébergement. »
Fédération des Mouvements Personne d’Abord (Photo stock)
On peut donc dire que la qualité des services varie d’un milieu de vie à un autre. Or, on devrait s’attendre à ce que toutes les ressources résidentielles offrent un environnement sécuritaire, sain et stimulant. C’est la responsabilité du gouvernement de vérifier ce qui se passe à l’intérieur des milieux de vie et de bien former leur personnel, pour s’assurer que tout se passe bien.
Des coûts très élevés
Il est normal que l’hébergement et l’habitation coûtent cher : ce sont des services indispensables. Le problème du modèle actuel est que ces services coûtent cher, pour une qualité variable, et que les personnes n’ont pas toujours la possibilité de faire des choix en lien avec là où elles veulent vivre. En effet, dans les dernières années, les coûts des ressources intermédiaires, des ressources de type familial, et des ressources à assistance continue ont explosé. Ces habitations, dont la qualité des services est variable, coûtent de plus en plus cher.
En ce moment, seulement 27% des personnes recevant des services en déficience intellectuelle et autisme (DI-TSA) habitent ces milieux de vie. Toutefois, en 2022-2023, 51% du budget total en DI-TSA leur est consacré. Cela veut dire que plus de la moitié du budget total en DI-TSA sert à loger une minorité des personnes recevant des services.
Coût par personne
Le fait que le gouvernement privatise une bonne partie de l’offre de services en habitation fait en sorte que cela coûte très cher. Entre 2013-2014 et 2022-2023, les coûts annuels par personne dans les ressources résidentielles ont beaucoup augmenté :
- En résidence intermédiaire, de 37 351 $ à 78 685 $ (+110%).
- En ressource de type familial, de 27 845 $ à 68 222 $ (+145%).
- En résidence à assistance continue, de 102 771 $ à 234 172 $ (+127%).
Si le coût de ces services avait suivi l’inflation, il aurait augmenté de seulement 27,4%. Il y a donc eu une explosion des coûts dans toutes les ressources résidentielles comparée à l’inflation sur la même période.
Des listes d’attente interminables
En plus de coûter cher, les places en ressources résidentielles sont très difficiles à obtenir. Il y a des listes d’attente importantes pour obtenir une place. Cela peut causer beaucoup de problèmes, surtout quand une personne a un besoin urgent de trouver un milieu de vie.
Actuellement, une personne ayant une déficience intellectuelle doit attendre en moyenne 1211 jours, soit plus de trois ans, pour obtenir une place. En 2013-2014, l’attente était de 767 jours. Cela signifie qu’elle a augmenté de 58%. D’ailleurs, rien ne garantit que cette longue attente permette à la personne d’avoir un milieu de vie qui correspond à ses souhaits personnels.
“Nous avons des parents de 80 ans qui ont inscrit leur enfant adulte sur une liste d’attente il y a dix ans pour des services résidentiels et qui attendent toujours leur tour. Si une urgence survient, ils seront traités en priorité à ce moment-là”.
Lily, Fournisseuse de services
De plus, comme il s’agit de moyennes, cela veut dire qu’il y a des personnes qui attendent encore plus longtemps que trois ans. C'est notamment le cas pour les personnes de 45 ans et plus, qui ont des temps d’attente très supérieurs à la moyenne.
« Cela fait 15 ans que mon fils de 43 ans est sur une liste d’attente [...] Qu’arrivera-t-il ? Devra-t-il attendre encore 15 ans que tout le monde autour de lui soit mort, pour avoir une place ? »
Rissa, 77 ans
Par ailleurs, ce que les organismes sur le terrain et les familles disent est que les placements sont souvent faits dans des contextes d’urgence où les parents ou la famille ne peuvent plus s’occuper de leur proche ayant une déficience intellectuelle.
Le manque de places et la longueur des listes d’attente peuvent forcer des personnes à vivre dans des environnements qui ne leur conviennent pas du tout. C’est notamment le cas de Chloé, 34 ans, qui a une déficience intellectuelle moyenne à sévère. Elle est hébergée depuis plus d’un an à l’Institut universitaire en santé mentale de Québec, même si elle n’a pas de problèmes de santé mentale.
« C’est pas un milieu de vie pour quelqu’un qui n’est pas malade. Toutes ses activités sont arrêtées, donc elle ne sort pas... Elle est seule. Elle a perdu beaucoup d’acquis, parce qu’elle n’a pas de stimulation. »
Marie-Josée, mère de Chloé
Des politiques publiques qui ne semblent pas prendre la mesure des enjeux
Les politiques publiques actuelles, c’est-à-dire les décisions du gouvernement, ne répondent pas bien aux besoins d’habitation des personnes ayant une déficience intellectuelle. De plus, le gouvernement ne semble pas prendre en compte les défis futurs.
Pourtant, toutes les données présentées dans cette page viennent des ministères. Le gouvernement a donc le portrait de la situation et devrait avoir des solutions à proposer. Malheureusement, cela ne semble pas toujours être le cas.
Peu de modèles d’habitation innovants, par et pour la collectivité
Les modèles d’habitation innovants sont mis en place par et pour la collectivité. Ils offrent des milieux de vie sains et stimulants. Ces habitations sont différentes des ressources résidentielles, qui ne sont pas autant impliquées avec la communauté. De plus, plusieurs de ces habitations offrent des services novateurs, comme des formations sur la vie en appartement ou des activités socio-récréationnelles que l’on ne retrouve pas souvent en ressource intermédiaire ou ressource de type familial.
Les personnes et les organisations qui mettent en place des modèles d’habitation innovants doivent travailler très fort, souvent avec des budgets limités et peu de personnel pour transformer leurs rêves en réalité. Elles font face à plusieurs défis. C’est pourquoi il faut plusieurs années pour réaliser ces projets.
« On mène un bateau, mais l’équipe de rameurs commence à être essoufflée. [...] Beaucoup de parents, devant l’envergure de la tâche, ne sont pas capables. »
Daniel, président de L’Appart à moi, un modèle d’habitation innovant situé à St-Hubert.
1. Défis financiers
Un premier type de défi est financier. Il faut beaucoup d’argent pour construire ou adapter un bâtiment, et ensuite pour le faire fonctionner. Le problème est que les modèles d’habitation innovants ne reçoivent pas autant d’argent que les ressources résidentielles. Les gens doivent donc être créatifs pour trouver d’autres moyens de financement.
2. Défis organisationnels
Un deuxième type de défi est organisationnel. Pour beaucoup de gens qui travaillent sur ces projets, c’est la première fois qu’ils le font. Ils doivent apprendre beaucoup de nouvelles choses et naviguer dans un système bureaucratique compliqué, par exemple pour demander différentes subventions ou recevoir des autorisations des municipalités et gouvernements. Cela leur demande beaucoup de temps et d’énergie, et peut les mener à l’épuisement. Beaucoup de modèles d’habitation innovants commencent avec l’implication des parents, qui sont souvent ceux et celles qui s’occupent de leur proche ayant une déficience intellectuelle.
3. Défis liés à la rétention du personnel
Un troisième type de défi se trouve dans la rétention du personnel. La rétention du personnel signifie la capacité de garder les mêmes personnes à l’emploi pour longtemps. Puisque les modèles d’habitation innovants ne reçoivent pas assez de financement, les personnes qui y travaillent ont parfois des salaires limités. Cela peut faire en sorte que certaines personnes finissent par quitter le projet. Cela crée beaucoup d’instabilité car :
- Les personnes qui restent doivent faire plus de travail
- Cela prend du temps pour embaucher de nouvelles personnes
- Cela prend du temps pour former de nouvelles personnes.
Cette instabilité ajoute donc des coûts aux projets, alors que ces projets ont déjà du mal à être financés de façon pérenne.
Les personnes en situation de précarité résidentielle ou d’itinérance, surtout celles ayant une déficience intellectuelle, font face à beaucoup de difficultés pour s’en sortir. Tout d’abord, les personnes en situation d’itinérance ayant une déficience intellectuelle peuvent avoir du mal à trouver des endroits où obtenir de l’aide, comme des lieux où dormir ou manger gratuitement.
Parfois, communiquer, se faire comprendre ou comprendre certaines choses, comme les règles ou les normes sociales, peut être difficile pour elles, surtout dans un environnement changeant. Cela peut les rendre plus vulnérables aux abus et à l’exploitation par d’autres personnes.
« Quand j’étais dans la rue, je n’étais pas pris au sérieux par la police. [...] Je ne dormais jamais. »
Yan Loup, qui a vécu l'itinérance
Ensuite, les endroits où elles peuvent rester temporairement ne sont pas toujours adaptés à leurs besoins spécifiques. Chaque personne est différente, donc il faut des solutions qui leur conviennent vraiment.
« Il y a des refuges, mais je ne me sens pas à l'aise de les y envoyer parce que ce sont des refuges où ils doivent sortir pendant la journée et rentrer le soir et beaucoup d'entre eux ont des problèmes d'alcool et de drogue et j'ai l'impression qu'ils se perdent parfois dans la masse et que nous ne savons pas ce qu'il va advenir d'eux. »
Theresa, Fournisseuse de services
Vivre dans la rue peut conduire les personnes ayant une déficience intellectuelle à multiplier les interactions avec la police et le système de justice criminelle. En effet, la précarité, les changements quotidiens, les mauvais traitements et l’intimidation peuvent entraîner le développement de comportements agressifs ou de troubles du comportement. En plus, la pauvreté, la faim et l'insécurité résidentielle ou l'itinérance peuvent conduire à des comportements criminels et/ou au vol.
Par exemple, certaines personnes peuvent voler de la nourriture ou rester dans des endroits où elles n'ont pas droit d'être, simplement parce qu'elles cherchent un endroit sûr pour dormir. Ces personnes risquent d'être arrêtées par la police et emprisonnées, même si elles ne comprennent pas toujours pourquoi ce qu'elles ont fait était interdit.
Conjugués, ces facteurs [le manque de service, la pauvreté et l'exclusion sociale, N.D.L.R] font en sorte que certaines personnes ayant une déficience intellectuelle se trouvent dans des situations difficiles, parfois d’itinérance, parfois de dépendance. Ces situations peuvent mener à des dérèglements face à la norme sociale, à de la criminalité de subsistance, et ultimement à une judiciarisation et à la prison.
Prison et déficience intellectuelle, ça ne va pas!
De plus, des chercheurs et des organisations estiment que le système de justice criminel n'est pas bien adapté aux besoins des personnes présentant une déficience intellectuelle, notamment en ce qui concerne les peines, les mesures d'isolement, la réinsertion, etc.
Enfin, les personnes ayant une déficience intellectuelle peuvent également avoir du mal à obtenir les soins médicaux dont elles ont besoin. Dans la rue, le risque de toxicomanie est également plus élevé, ce qui peut compliquer l'état de santé des personnes. Elles peuvent également avoir du mal à accéder aux produits d'hygiène de base. Comme elles peuvent avoir des besoins spécifiques en matière de santé mentale et physique, cela complique encore les choses. Tout cela les place dans une situation de vulnérabilité où elles ont du mal à trouver les ressources et le soutien nécessaires pour sortir de l’itinérance.